C’est avec tristesse que nous apprenons la mort de Jacqueline Duhême qui, depuis plus d’une décennie nourrit le travail de la Cie de multiples façons.
Nous l’ignorions mais Jacqueline Duhême était déjà présente dans la collection Peintres en scène avant même que d’y collaborer activement !
En effet, c’est avec la commande et l’écriture de la pièce Et Matisse entre dans la danse à Virgile Compagnon que tout a commencé. Il se trouve que la pièce évoque de fait la relation entre Matisse et son assistante au moment de la création de la Chapelle du Rosaire à Vence (en 1948). Mais ce sont les hasards de la vie, les rencontres qui ont amené notre metteur en scène, Thierry Vincent (voir son témoignage ci-dessous) à entrer en relation puis en amitié avec Jacqueline Duhême… et parce que elle a été d’abord « Petite main » chez Matisse, justement.
Depuis 2016, en lien avec Le Livre des Droits de l’Homme, aux Editions Gallimard Jeunesse, illustré par Jacqueline et préfacé par Robert Badinter, l’aventure du spectacle Les Droits de l’homme, écrit et mis en scène par Thierry Vincent avec Loïc Bonnet et Aude Carpintieri, puis Maud Louis et Benjamin Escoffier, c’est presque au quotidien que la Cie est reliée à la personnalité et à l’artiste Jacqueline Duhême. Lors de chaque IMAP (Immersions Artistes et Pédagogiques) ou représentation du spectacle, la Cie est heureuse de prolonger les fondements de sa collaboration avec Jacqueline Duhême : rencontrer des enfants, des adolescents, des jeunes, s’interroger avec eux sur la place de chacun sur la planète et plonger dans l’acte de création artistique.
Le 9 février 2024, l’équipe artistique des Droits de l’Homme était avec une classe de 4e du collège l’Astrée à Boen dans la Loire. Ce travail était un hommage en soi à Robert Badinter qui avait demandé à Jacqueline Duhême « Faites vivre la Déclaration dans l’âme des enfants« . Le 8 mars, l’équipe retrouvera ce même groupe et rendra hommage à Jacqueline Duhême.
Le spectacle Les Droits de l’Homme est né en 2016 à la Médiathèque Françoise Sagan grâce à l’accueil de Viviane Ezratty et de son équipe. En sortie de résidence, les mots de Jacqueline Duhême furent simples, directs, chaleureux : « Vous avez relevé le défi… «
Après cette longue aventure des Droits de l’Homme qui se poursuit toujours à ce jour, en 2018, lors de la rétrospective de Jacqueline Duhême à la Bibliothèque Forney à Paris, Loïc Bonnet, Aude Carpintieri, Hélène Vidal et Thierry Vincent présentaient enfin Et Matisse entre dans la danse de Virgile Compagnon.
Loïc Bonnet témoigne :
C’est avec une grande tristesse que j’ai appris la nouvelle du départ de Jacqueline. J’ai eu la chance de partager un bout de chemin à ses côtés et de vivre une belle aventure.
Parce que partager un moment avec Jacqueline est une aventure. Chaque moment était intense. Malgré l’âge et une vie bien remplie, elle gardait ce même sourire et cet œil pétillant. Cet œil pétillant et enfantin qui se retrouve dans chacun de ses dessins. Je suis heureux d’avoir eu la chance de croiser son chemin, triste que cette grande dame ne soit plus là, mais je garderai toujours mon grand sourire d’enfant quand je repenserai à elle et à son regard plein de malice.Merci Jacqueline.
Thierry Vincent témoigne :
Avec Jacqueline, dès 2013, j’ai pu vérifier que le texte Et Matisse entre dans la danse de Virgile Compagnon était conforme à la vision que je pouvais me faire de cette relation entre le vieux maître et son assistante, pour réaliser sur scène le portrait en mouvement de Matisse. En 2014, elle est venue à la rencontre de toute l’équipe, à Condrieu lors des Rencontres Régionales de bébés lecteurs. Son témoignage direct a nourri la mise en scène réalisée en 2018. Bien plus tard !
En effet, bien plus tard ! Venant interrompre ce travail de préparation du spectacle, il y a eu les attentats de janvier 2015, Charlie Hebdo… et cet appel de Jacqueline le 19 janvier 2015 « mon ami Cabu est mort, il faut que tu mettes en scène les Droits de l’Homme ». J’ai dit oui sans trop réfléchir, bien sûr qu’il le faut… Jacqueline m’a envoyé son Livre des Droits de l’Homme, préfacé par Robert Badinter, qu’elle a illustré et publié chez Gallimard en 2005.
J’ai ouvert le livre, et j’ai vraiment réalisé qu’il fallait mettre en scène 30 articles dont le sens ne surgit pas à la première lecture ! Comment mettre en scène ? Mettre en texte tout cela ? Mes interrogations ou mes perplexités devant le défi à relever furent balayées par un « Quand Robert Badinter m’a demandé de mettre en images la déclaration, je connaissais à peine le texte, fais comme moi tu te dé…brouilles ! », tout en demandant à Robert Badinter de bien vouloir se mettre en rapport avec nous !
Pour mettre en scène, et pour pouvoir s’adresser d’abord à un jeune public, il fallait trouver un scénario, des personnages, des situations, et c’est l’expérience du travail au sein de la collection peintres en scène qui m’a aidé à trouver peu à peu les éléments de réponse, le chemin vers la création.
C’est en regardant très attentivement son illustration de l’article 13 qui donne à voir une planète Terre et un sens interdit que la structure du spectacle s’est mise en place. Un dessin génial : « Pour que la vie, les hommes et la joie circulent sur la planète… il faut un code de la route » affirme Jacqueline. Génial ! En un dessin, elle exprime et résume toute la déclaration des Droits de l’Homme et sa finalité ! C’est simple et efficace, aussi gai et sérieux que le jeu d’un enfant, jeu qui lui avait manqué sans doute mais qu’elle créait sous chaque coup de pinceau.
Ajouté à cela, la synthèse de l’échange avec Robert Badinter : « Chaque article de la déclaration est tout entier inclus dans tous les autres. » Le personnage de notre spectacle serait l’illustratrice elle-même, le spectateur la surprendrait, un matin, au travail, justement devant l’article 13… faire naître des mots les images… pour que les images donnent un sens aux mots, etc…
Il ne fallait plus qu’à Hélène Grange et Loïc Bonnet d’abord d’accepter de se lancer dans le travail de création, et ce n’a pas été le plus petit des défis : improviser, écrire un dialogue intérieur et le médiatiser pour que la pensée profonde apparaisse aussi souple et légère qu’une plume, s’adresser aux enfants et aux adultes les accompagnant…
Jacqueline s’impatientait parfois : « Alors quoi ! Dans le Pilat, qu’est-ce que vous f..tez ? » Ce à quoi j’objectais, non sans malice, que la création théâtrale est sans doute bien plus difficile à mettre en œuvre que la création plastique avec ses seuls papiers et pinceaux !
Quelle énergie et quelle fougue accordées pour qu’avec Aurélie Malebranche nous réalisions le mobile en bois, pour que toutes les effigies du mobile soient prêtes, pour que s’ouvrent à Julie Peron les portes de Gallimard Jeunesse pour la communication !
La joie de cette rencontre et du travail réalisé avec Jacqueline est de voir cette joie toujours en mouvement, relancée à chaque rencontre nouvelle avec nos partenaires de jeu et spectateurs. Faire vivre la déclaration dans l’âme des enfants. C’était aussi sa joie profonde.
A ta vivacité et ta santé éternelles, Jacqueline !
Etincelles fécondes.